Mais il est plus pur de mourir
«Mais il est plus pur de mourir»
Comtesse de Noailles


                    «Mais il est plus pur de mourir»
                         Comtesse de Noailles


1
Tout cela pourrait changer: jamais plus ce regard que les choses intimes
aiment.....Ce qui arrive, le pourrais-tu
faire? Ce qui tombe par soi-même,
le pourrais-tu jeter? Mon héréditaire
main? Dis! Tu connais la colère,
tu trembles souvent pour être après
d'un calme étrange qui m'inquiète....
Est-ce moi qui t'arrête? Tu sais
caresser....Mais dans la caresse,
ce trop de douceur qui dans l'autre s'enfonce
n'est-ce point du meurtre déjà qui sans cesse
renonce? Il n'y a qu'une vitre qui nous sépare,
à peine, de la rapide méprise soudaine
du pharmacien qui verse l'abîme,
de l'énorme dépense avare
du crime. Elle est par trop
notre parente, la mort. Le flot
de la vie qui s'accélère,
c'est déjà elle: la mort-mère.

Vois l'index de l'enfant et son pouce, cette tenaille si douce
que même le pain s'en étonne.
Cette main, toute bonne,
a peut-être tué l'oiseau
et frisonne
de son ultime sursaut.
Sa brusque négation de fouine
qui l'empêcherait, qui l'empêche?

2
N'osez pas les nommer! De Demi-Dieux à peine
à notre bouche obscure sont permis....
Et l'âme même d'insistance pleine
ne connaît que cet Ange indécis
qui peu à peu s'érige sur le bord de nos souffrances: clair, fatal et fort,
ne défaillant jamais et sans vertige,
mais malgré tout, lui-même, être-lige
d'un inconnu et souverain accord.

Lui, Majuscule, Lettre verticale
du mot que, lentement, nous défaisons;
borne d'airain de notre vie natale,
mesure anonyme de ces monts
qui forment une chaîne dans le coeur
en sa partie abrupte et sauvage....
Statue du port, phare de l'abordage,
et, pourtant, des naufrages contempteur!

Vivre par lui, c'est notre but ultime,
entre l'enfance lente et le crime,
vivre par lui dans un élan si vrai,
que sa rigueur de roche qui se tait
finit par changer de silence.....pour
taire un consentement....

3
Renoncez, pieux clients! Les cierges allumés
n'ont plus le pouvoir de remuer les ombres
dans ces visages peints et rajustés qu'encombre
l'indifférent vernis de vétusté.
Renoncez doucement à demander l'avis
de ces partants que la prière offusque;
il leur a bien fallu des coeurs plus brusques
pour être de leurs cris ravis.

Renoncez à ce marchandage doux.

Mais en vous-mêmes, tout au fond de vous,
quel cimetière! Que de Dieux absous,
congédiés, oubliés, hors d'usage,
que de prophètes, que de mages
abandonnés par votre désir fou!

Vous avez dépeuplé les cieux immenses.
Et les dryades privées de leur chance,
sont rentrées dans les arbres et n'avancent
que dans la sève, versant pleurs et pleurs...
Les sources se renient, et les fleurs
brisées par de distraites violences,
déformées par de vagues inventeurs
qui les excitent à outrance,
fleurissent sans se dire.....Tout a peur
de vous: pauvres tueurs des abondances!

4
Sur la crête du coeur hésitant:
quel sourire que de la bouche
s'empare de celui qui hésite!
Quelle lenteur inédite
dans ce sourire. Quel chant
supprimé, dans ce sourire. Autant
de sérieux, autant de limite
que d'affranchissement.
Autant de fuite que de retour.
Quel sourire! On le dirait provocant.
n'était-il pas, dans sa double audace,
trop complet, trop absent
pour avoir quiconque en face.

Aus: Exercises et Évidences